mercredi 29 juin 2011

Transbaie 2011

La course pour les gamins
26 juin 2011 

Dimanche au réveil, une épaisse brume (la même que la veille) recouvre Saint-Valéry, Baie-de-Somme, là où les phoques pêchent le mulet à la nuit tombante et où des coureurs, une fois l’an, décident que le chemin le plus court entre deux points est la droite, tant pis si sur le chemin il y a la mer : Saint-Valéry Le Crotoy, en avant toute.

mardi 21 juin 2011

Jogging de La Louvière 2011 - 10 km

19 juin 2011


Je n’avais pas l’intention d’en faire un billet parce que ce n’était pas une épreuve importante au sens d’une épreuve pour laquelle je me serais préparée, vous savez une épreuve qui se vit avant de le vivre avec des objectifs, des calculs et les états d’âme que ça implique. À vrai dire, je n’étais même pas censée participer au Jogging de La Louvière puisque j’étais (suis) toujours en récupération du marathon de la semaine précédente.

Mais…

Mais ce n’est pas parce que c’est une « petite course » (à l’échelle de mon programme et de mes si-on-peut-dire-ambitions) dans une « petite ville » (à l’échelle de la planète) qu’il ne faut pas en parler.

À l’échelle de ma planète, La Louvière, c’est grand.

Sans que j’y aie jamais vécu, La Louvière c’est la ville où je suis née, la ville où j’ai grandi, la ville où j’ai appris à courir, la ville où je reviens quand je reviens dans ma famille, la ville où je suis le plus chez moi au monde. Le week-end du Jogging, c’est la grosse fête. Le vendredi, commence la braderie, les magasins déballent tout sur les trottoirs, les cafés font pareil. C’est la Fête de la musique. Le dimanche matin, les enfants courent (bravo mes nièces !) et les concours de pétanque, de pêche et de VTT battent leur plein. En plus, le « Royal Athlétique Club » dont ma famille est un membre historique organise avec la Ville ce week-end sportif. Des gens, des choses, du bruit, des couleurs. Et de la pluie. Je ne pouvais pas rater ça.

Je voulais faire les 20 km. J’aime tant cette distance. Je les avais courus l’année passée avec beaucoup de plaisir et j’aime bien ça, me faire plaisir.

Mais…

Mais ce n’aurait pas été très sérieux. J’ai écouté sagement les conseils de ma mère et des excellents Bruno (mon entraîneur de quand j’étais petite) et Jean-Luc (mon entraîneur) et je me suis inscrite aux 10 km. Il y avait aussi un 6 km. Non, pas 6 km quand même !

Me voilà donc partie pour un 10. Je n’aime pas trop ça. Ça va trop vite. C’est trop intense. L’esprit n’a pas le loisir de partir en goguette. J’aime, quand je cours, parvenir à un état de suspension. Sur un 10 km, c’est un état que je suis sûre de ne pas atteindre. Par contre je suis sûre de souffrir, surtout si je cherche à maintenir une vitesse prescrite. Les 10 km me donnent d’excellentes raisons d’angoisser. Pour ce 10 km, je n’ai pas d’objectif et donc point trop de stress. Surtout qu’une heure avant je ne savais pas que je courrais cette distance (je m’en doutais seulement). Je ferai ici avec ce que mes jambes voudront bien me donner, sans plus. J’espère tout de même tenir du 4’30 puisque c’est une vitesse que je suis capable de tenir sur un semi.

Allons-y.

Houdeng-Goegnies, l'ascenceur n°1 sur le canal du Centre.
Photo: Jean-Pol Grandmont via Wikimedia Commons
.
C’est un miracle, un peu avant le départ, le ciel s’est dégagé. Depuis le matin, c’était le déluge. Nous serons 1 311 à partir sous le soleil pour 6, 10 ou 20 km. Sur la ligne de départ, dans le troupeau devrais-je dire, je croise quelques âmes connues, on échange des nouvelles. C’est agréable d’être chez soi. 

Le Jogging est une course populaire, il y  a un joyeux mélange de néophytes, d’aguerris, de déguisés, de compétiteurs et de promeneurs. Coup d’envoi, c’est le brol (expression du cru), les vitesses des coureurs sont pour le moins hétéroclites, on slalome, on se fait coincer, on manque de tomber et de faire tomber. Heureusement, le départ est en descente et la route s’élargit, les coureurs s’égaillent et le troupeau se dilue, jusqu’au goulot d’étranglement sous le pont Capitte où on rejoint la canal et son chemin de halage en cendrée rouge. Là on perd les 6 km. Plus loin, en haut de l’ascenseur à bateau, les 20 km continuent leur route, les 10 redescendent pour courir sur l’autre berge. Bien avant d’opérer ce demi-tour, je vois les deux femmes en tête de la course, de l’autre côté de l’eau. J’admire l’élégance de Mathilde qui finira deuxième. 

Vers le km 5, on quitte le canal pour rejoindre Bois-du-Luc (la nouveauté 2011 du parcours), un joli coron où vivaient, du temps des charbonnages, les mineurs et leurs familles. Le coron est traversé par un faux plat et quelques centaines de coureurs. Les habitants sont sur le pas de leur porte, un orchestre met la course en musique. De là, ça monte presque tout le temps, plus ou moins fort selon les portions. Je me fais grâce de la description des détails de la course et renvoie à ce blog ceux qui voudraient en lire un compte rendu très bien documenté.
Houdeng-Aimeries, rue du Levant, cité ouvrière de Bois-du-Luc.
Photo: Jean-Pol Grandmont via Wikimedia Common

J’ai surveillé mon allure de course au début, elle restait dans les 4’20. Ça allait bien (où est passé mon marathon ?), je sentais que je pouvais la maintenir sans trop de difficulté alors j’ai laissé faire. Pas en sifflotant ni en cueillant des fleurs, non, tant s’en faut, mais je ne me traînais pas en boulet. J’ai dû trouver ça très dur sur le moment, c’est sûr ; trois jours après j’ai pourtant oublié combien. On oublie, heureusement, sinon on ne recommencerait pas. 

C’est donc bien vite passé 10 km ! J’aperçois déjà l’église de Bouvy, ce ne sera plus très long maintenant.

Arrêter de courir à peine 44 minutes et 52 secondes (chrono officiel) après avoir commencé, franchement, c’est vraiment bien la peine ! Vous me direz que je n’avais qu’à aller moins vite, c’est juste. Je n’avais pas fait de 10 km depuis octobre, c’est fou comme on en récupère vite. J’ai eu quelques courbatures, mais au niveau de la fatigue générale, c’est absolument indolore. Pas si mal au fond, les 10 km. 


Podium des 10km : Emily Devick, première dame (39'58), et Mathilde
Hanuise (41'12). La troisième était trop occupée à manger
des couilles de Suisse pour se présenter à la remise des prix.
Photo: Jean-Claude Dubois
À part les deux premières que j’ai regardées de très loin et une demoiselle que j’ai dépassée après l’ascenseur, je n’ai pas vu de femmes sur le parcours. Sauf sur la fin, quand on rattrape les coureurs du 6 km. À l’arrivée, maman qui aide au chronométrage et qui a gardé l’œil sur les arrivants pense bien que je suis troisième. Pas impossible. Ah ben oui, ça se confirme. Mais tellement loin des deux premières ! Comment se fait-il qu’il n’y ait eu personne pour s’intercaler entre elles et moi ? Où êtes-vous, mesdames ? 

Notons que, comme d’habitude, la presse n’en a eu que pour ces messieurs. Il est vrai que Gregory Faille, le vainqueur des 20 km en 1 h 03:34, est impressionnant et que les femmes étaient relativement peu nombreuses (135 femmes sur 344 arrivants aux 6 km, 107 sur 620 aux 10, 31 sur 225 aux 20). Un pas vers la parité médiatique serait néanmoins apprécié. Messieurs les journalistes...

mercredi 15 juin 2011

Marathon du Luxembourg 2011


Marathon, prise deux (11 juin 2011)


Voilà, c’est fait, hop, hop, hop, on n’en parle plus, on pense au prochain. Parce que meilleur dans le marathon, c’est décidément la préparation, la cour qu’on se fait, les coquetteries qu’on s’adresse et les roulements de mécanique. La veille et dans les heures qui précèdent, il y a l’attente, l’angoisse, la catatonie, une immense fatigue, je ne veux plus y aller, pourquoi je me mets dans des états pareils, franchement, je vous demande un peu. Et puis on le fait et puis c’est fini, en quelques heures la course est consommée. Comme la médaille, l’épreuve prendra la poussière, même les enfants ne voudront pas de son souvenir. 

vendredi 10 juin 2011

Si ça s'appelle mélancolie

C’est demain.

Je pensais que le stress ne m’atteindrait pas et que bon, ok, ça fait un tas de kilomètres à aligner, mais bon, c’est pour le plaisir tout ça. Et ça m’a fait plaisir de m’entraîner, de me préparer, de parcourir tout le chemin qui mène jusque là. Je pensais donc rester détendue et sereine jusque dans le quart d’heure qui précède le coup de feu.

Finalement, j’ai le ventre tout tordu et un stress mélancolique qui me caresse les cheveux.

C’est peut-être une déprime ante-partum. Voilà, c’est fini ou c’est tout comme.

C’est peut-être une stratégie de l’inconscient qui nous met en état de veille, qui veut nous concentrer le mental sur la course. Je suis dans ma bulle de spleen, je ne veux rien savoir de ce qui m’entoure. Allez-vous-en, embrouillants parasites.

C’est peut-être parce que Chéri a oublié que demain était un jour spécial pour moi. D’accord, il est à 6 000 kilomètres et il a la tête saturée de plein de choses importantissimes, mais, quand même, ça me rend un peu triste.

C’est peut-être parce que mon père devait être là demain. Parce que c’est lui qui m’avait parlé de ce marathon qui pouvait rentrer dans mon agenda et m’éviter de refaire celui de Montréal. Parce qu’il est décédé 6 jours plus tard, deux jours après que j’ai pris mon inscription. Parce que j’ai décidé de le courir malgré tout. Parce qu’il était content que je coure. Parce que ça lui aurait fait plaisir que je coure malgré tout, je le sais. Parce que je veux qu’il soit fier de moi. Parce que je serai à Luxembourg avec ma maman et sans mon papa. Parce qu’il nous manque.

Ça doit être pour ça que j’ai le ventre tout tordu et un stress mélancolique qui me caresse les cheveux. C’est sûrement pour ça.

Mais demain sera une fête. Le spleen se sera dissipé. J’aurai du bonheur à courir. Et puis de la souffrance. Et je ferai de belles rencontres. Avec mon père, qui sait ? Alors il me rabrouera avec de grands gestes bourrus et des soupirs exaspérés, et que je suis bien gnangnan, et que ce n’est pas parce qu’il est mort qu’il faut en faire tout un plat.

Tu as raison papa, demain ce sera une fête, juste une fête. Mais laisse-moi dormir avec mon chagrin. Juste pour cette nuit.

lundi 6 juin 2011

Marathon de Montréal 2010, IV

Le marathon, deuxième partie
(Le même jour)

Il est à peu près 10 h 35, j’aperçois au loin une foule compacte. « Et meeeeerde », ça doit être la pensée qui me traverse l’esprit. Je comprends que j’arrive là où les parcours du marathon et du semi-marathon se rejoignent, au point où le tablier du pont Jacques-Cartier se jette dans la ville. Les semi-marathoniens sont partis vers 10 h 30, ils viennent de s’élancer, ils sont 5956 à dévaler le pont. C’en est fini de la tranquillité. Je peste contre ces demi-portions qui vont me pourrir MON marathon. Pfff, la plèbe, la plaie. Ne vous offusquez pas, amis lecteurs, les pensées mauvaises qui me traversent l’esprit s’adressent uniquement aux organisateurs. Si vous courez, vous savez que la compétition, même quand on compétitionne uniquement contre soi-même et qu’on est le seul concurrent à abattre, s’accompagne toujours d’un fond de méchanceté. Je suis la première à me réjouir de l’engouement que suscite la course à pied, mais n’auraient-ils pas pu se faire engouer à un autre moment par les organisateurs, ces gens-là ? Je poursuis donc en râlant.

Point culminant de ma ronchonnerie, où je ronchonne avec raison : la côte Berri, km 26. Ceux qui connaissent Montréal conviendront que c’est une côte qu’on trouve raide rien qu’à la regarder. Au milieu de la côte un ravitaillement, une pagaille, des coureurs sur chaque centimètre carré de route, attraper un gobelet est un pugilat. À la foule, s’ajoute donc la difficulté du parcours qui montera plus ou moins violemment jusqu’à l’arrivée.
Je découvre ainsi avec stupeur et lentement que Saint-Joseph et Saint-Laurent ne sont pas plats du tout, et que dire de Pie-IX ?  La fin du marathon est un cas de sadisme, sachez-le. À 5 km de l’arrivée, on voit la tour du stade Olympique, elle est proche, si proche, à quelques enjambées, mais on n’y accède qu’après avoir contourné le parc Maisonneuve, par le fâcheux Pie-IX (que je prenais jusque là pour un inoffensif faux plat). À partir du km 25, mon allure passe régulièrement au-dessus de 5 minutes au kilomètre (la moitié des kilomètres en fait, le plus lent, le km 29, sur Saint-Joseph et Saint-Laurent, en 5:31). 
Parcours 2011. Arrivée hors stade, sinon rien de neuf.
(Source : http://www.marathondemontreal.com)

Sur des Carrières, il y a Chéri et mes trois pitous, comme prévu. Je suis heureuse de les voir. Ils ont l’air un peu interloqués par le défilé et par leur maman qui passe sans s’arrêter, ils doivent se demander pourquoi tous ces gens courent. Oui, pourquoi ? C’est une question que beaucoup doivent se poser car nous sommes quelque part vers le km 32, c’est-à-dire quelque part vers le mur (lire avec un frisson). Je me demande où il est, ce fameux mur. J’ai dû passer à côté. Ou bien il va m’effondrer dans pas longtemps ? Je ne le cherche pas trop, je me faufile discrètement. Il reste 10 km, c’est le début de la fin. Tant mieux parce que ça commence à me sembler long. Je regarde autour de moi, vraiment pas terrible ce parcours, une si belle ville pourtant.

Au coin Pie-IX-Sherbrooke, c’est encore moche mais déjà plus vivifiant. Il reste 5 km, la tour du stade est tout près, un nombre impressionnant de spectateurs encouragent les coureurs. Beaucoup moins vivifiante, la côte Pie-IX. La tour du stade nous nargue toujours, elle recule, ne se laisse pas attraper. J’ai soif. À 2 km de l’arrivée, un dernier ravitaillement, je fais un crochet. J’ai mal dans le bas du dos. Maudites séances de PPG que j’ai bâclées (pas de gainage, pas d’abdos, pas de dorsaux). L’arrivée est en descente, je me pousse, j’espère follement rentrer sous les 3h30, il ne manque pas grand-chose (j’ai jeté un œil rapide à ma montre). Dernier km en 4:43, je fais ce que je peux, mais c’est trop juste. Aaaaah ! l’entrée du stade, la voilà ! Ô temple olympique, on dirait une allée de garage. On s’enfonce dans le béton. Dans le stade, une simili piste qu’il faut encore parcourir dans un air chaud et confiné avant d’en finir pour de bon. Je me rappelle la forte odeur de poussière, mes poumons sont choqués. Les arrivants sont triés, à gauche les semi-marathoniens, à droite les marathoniens. Ça y est, la ligne est franchie. J’appuie sur stop. Ma montre indique 3h30:57. Zut.
 

Par un merveilleux accord chronométrique, Caroline, ma collègue et chère amie, celle avec qui je cours et sans laquelle je n’aurais peut-être pas passé l’hiver (premier hiver québécois, accrochez-vous à vos baskets), vient de terminer son semi. Elle est encore dans l’enclos des arrivants quand j’arrive à mon tour. Un peu après, arrive MarathonMan. Il court un marathon par jour depuis le 1er janvier et parvient à boucler celui-ci, son 212e de l’année, en 3h34:11. Impressionnant.
Photo : http://www.marathonman365.be
On va le saluer avec Caroline qui le connaît bien (si, si) pour avoir partagé quelques kilomètres avec lui au parc Lafontaine où il a couru les autres marathons quotidiens de son séjour à Montréal. Dans l’enclos des arrivées, je retrouve aussi les copains de Fleurus que j’avais perdus sur le circuit Gilles-Villeneuve. Ils arrivent moins de 3 minutes après moi. On papote, on papote, on nous demande de débarrasser les lieux.

À boire, à boire ! On fait la queue pour récupérer notre collation et de l’eau, de l’eau, de l’eau. Ça ne circule pas très bien, malheur aux agoraphobes et aux personnes au bord du malaise qui voudrait rejoindre rapidement les secours. Mes jambes sont en ciment. Je m’assiérais bien un petit peu. Mais comment se relever ensuite ? Je m
assieds par terre. Pourquoi ont-ils mis le sol aussi bas ? Je veux voir l’arrivée de mes parents, car mon père courait aussi, le semi. On se trouve un petit espace le long des barrières, on scrute le flot des coureurs à la recherche des deux silhouettes familières. En attendant, je me restaure (juste verbe). Le beurre d’arachide finira à la poubelle – à la maison les enfants n’en voudront pas non plus (notre intégration culturelle reste très partielle), pareil pour le bout de fromage-si-j’ose-dire. Le jus de tomate chaud finira lui dans mon estomac, mais surtout dans mes souvenirs comme une étrange expérience (je m’attendais à un jus de fruit). À part ça, je fais un excellent repas, c’est bon de manger.

Papa arrive le premier. Comme d’habitude, il dira qu’il a souffert le martyr. C’est sûrement vrai. Il a 59 ans, il a couru le semi-marathon de Montréal en 2h13:18 (2h08:34 au temps puce), il est le 74e de sa catégorie et le 2605e homme. Il vient de courir son dernier semi-marathon. On était alors loin d’imaginer une chose pareille. C’est ainsi. Maman arrive ensuite. Elle a souffert elle aussi, elle a dû marcher. Elle a 57 ans, elle a couru le marathon en 4h21:04 (4h19:36), elle est deuxième de sa catégorie et 181e femme sur 454. Tous deux sont d’accord pour classer le parcours dans la catégorie « difficile ». Ils en ont vu d’autres, je n’ai pas de raisons de ne pas les croire.

Je suis fière de mes parents. Je suis heureuse d’avoir partagé ça avec eux. Je leur dois d’être là, je leur dois le bonheur de courir. Même de courir un marathon, je maintiens, pas transcendant. Un bonheur pas transcendant, un bonheur quand même.

Nous récupérons nos sacs dans les garages du stade, en clopinant. Nous quittons nos chaussures pour des sandales lâchez-vos-orteils. J’aide maman à enfiler les siennes. L’acide lactique nous tient dans sa gangue, nous formons une caravane de trois vieillards, les traits tirés, les cheveux sales. Nous croisons les coureurs de Fleurus et encore d’autres amis coureurs. Tout le monde rayonne dans l’après-course, malgré la sueur et malgré l’effort. Les humains sont de belles machines et les coureurs forment une joyeuse communauté. Nous prenons le métro avec des centaines de frères et de sœurs, communauté de fourbus. Nous regagnons la maison, nous donnons les médailles aux pitous, qu’en faire sinon ? Non, mon père m’empêche de donner la mienne, ton premier marathon, il faut la garder celle-là. C’est vrai, un peu de sacré, que diable. 

Caroline m’appelle pour me féliciter, une vraie amie. Elle a vu le détail des résultats. Ma montre indiquait, 3h30:57 mais le chrono officiel 3h30:54 et le temps puce 3h29:31. Sous les 3h30 en définitive. Pas si mal pour un premier marathon. Pour un premier marathon plutôt difficultueux. Je suis stupide d’être déçue, non ? En fait de déception, je suis fâchée contre moi. D’abord, parce je n’ai pas tout donné. À part le petit coup de soif et le mal de dos à la toute fin, j’ai assez peu souffert. Je ne me suis pas baladée non plus, n’exagérons rien, mais j’aurais pu me donner plus. Chéri me dira que j’allais l’air encore bien fraîche quand il m’a vue, vers le 32e. J’ai toujours peur de souffrir, je me retiens, je ne suis pas sûre d’y arriver. Je connais cette frustration, ça m’avait fait la même chose après mon premier semi en avril. Mettons ça sur le compte de l’inexpérience et voyons le bon côté des choses : pas de crampes, pas de mur, pas d’ampoules, pas de fringale, pas de déshydratation. Mon corps n’est plus qu’une grande raideur et je suis fatiguée, mais je suis debout. Je suis fâchée aussi contre le marathon de Montréal : il n’est pas beau, il ramasse les difficultés dans la deuxième moitié du parcours, il vous scalpe la concentration en injectant sans crier gare des milliers de coureurs dans le paysage, il vous fait arriver dans un stade qui manque d’air. 


C’est donc ça un marathon ? Un peu miteux pour un machin qui devait changer ma vie. Elles sont où les étoiles ? Dieu serait-il de l’autre côté du mur, que je ne l’ai pas trouvé ? Je dis dieu pour faire simple, on se comprend. Nom d’un mollet, Zatopek, explique-toi ! Mais c’est peut-être pour les autres que nous sommes différents, dans les regards du Reste du monde. Le marathon, c’est mythique, ça épate… Chut ! amis marathoniens, ne détrompons pas le Reste du monde !

Quoi qu’il en soit, c’est fait. La vie continue, égale à elle même, n’était ce corps qui me rappelle que quelque chose d’inhabituel s’est passé. Dans les jours qui suivront, j’aurai une douleur au genou qui m’empêchera de dormir la première nuit mais qui ne s’installera pas ; j’irai le lendemain mariner dans un spa avec des amis coureurs peut-être aussi crampés que moi ; je marcherai comme un cow-boy centenaire ; j’utiliserai l'appareil à électrostimulation de Caroline pour rajeunir le cow-boy en moi, jusqu’à ce qu’il retourne au néant. Le corps oubliera.

Et puis voilà.

Et puis.

Et puis j’aurai l’envie de recommencer. Des fois que ça pourrait goûter meilleur. Mais pas à Montréal, des fois que ça serait plus beau ailleurs.

J’ai rendez-vous.

Avec moi.
Avec dieu. Avec Zatopek. Avec personne. 

À Luxembourg. 

Le 11 juin 2011.

Marathon de Montréal 2010, III

Le marathon, première partie
(5 septembre 2010)

Enfin arriva le jour M comme Marathon. 


Sonnez hautbois, résonnez musettes. 
 

Depuis des semaines, je suivais religieusement mon plan d’entraînement, jencodais chaque séance dans ma montre GPS, j’en analysais ensuite le déroulement, je bichonnais mes pieds, j’écoutais mes jambes, je prenais du magnésium, je testais les glucides et mon hydratation, je me laissais pousser les cheveux pour les mieux attacher, j’avais, des chaussettes au maillot, défini la tenue qui minimiserait les risques d’ampoules et d’irritations, je pensais à la course avant de dormir et au réveil, pendant la nuit et à toute heure du jour. J’avais prévu de raconter en quelques mots lyriques le transport, l’épopée, la plénitude, ma rencontre avec ce moi caché qui, paraît-il, vit aux confins de nos propres limites. On m’avait promis du mystique, que je ne serais plus jamais la même après cette traversée. Les souvenirs que j’allais en garder, le récit que j’allais en faire, l’histoire que je raconterais, devenue vieille, à mes petits-enfants..., j’y goûtais par avance. « Si tu veux courir, cours un kilomètre. Si tu veux changer ta vie, cours un marathon », aurait dit Emil Zatopek. Je ne sais s’il a vraiment dit ça ou si on le lui a fait dire, mais je sais que ma vie na pas changé. Pas du tout. Ni ma vie ni moi, ce qui revient au même. D'ailleurs, nous sommes au printemps 2011 et je prends seulement le temps de raconter cette expérience qui en fut si peu une.

Ce matin-là, ma mère et moi nous levons tôt. Nous nous habillons, déjeunons silencieusement (pour moi, du café et une pile de tartines au choco) et quittons la maison qui dort encore profondément. Sur le quai du métro, des concurrents attendent et s’observent dans un silence recueilli. Station Berri-Uqam, changement de ligne, on retrouve par hasard des camarades belges qui se rendent eux aussi sur le site du départ (mes parents se sont joints pour leurs vacances au Québec au groupe du club de Fleurus qui organise régulièrement des séjours touristico-marathoniens). Dans le parc Jean-Drapeau, une colonne d’autobus scolaires, aussi jaunes qu
il se doit, ramassent les sacs des coureurs. Le matin est frisquet, la ville a abandonné laffreuse chaleur moite qui laccablait encore la veille. Une fois nos effets déposés, il ne nous reste pour braver la fraîcheur que nos sacs poubelles élégamment taillés, un trou pour la tête, deux trous pour les bras. Nous ne sommes pas seules dans cette tenue.
Collection été 2010
Je croise deux amis de Montréal pour qui ce sera aussi le premier marathon. Nous faisons plusieurs fois la queue devant la rangée de toilettes mobiles, une attente bien disciplinée qui continue de me surprendre. Entre deux rafales de vent et deux queues aux toilettes, nous tentons de nous réchauffer aux rayons du soleil. 

L’heure du départ approche. On se dirige vers le pont Jacques-Cartier en espérant trouver sur le chemin une nouvelle rangée de toilettes – on n’ose pas s’attarder derrière un buisson comme on laurait fait en Europe. Ces pipis sur le départ sont une calamité, mais on redoute tant de devoir sarrêter sur le parcours... : vessie légère, esprit léger. Même chose pour les intestins. Sur le pont, nous repérons 4 ou 5 toilettes, et beaucoup plus de candidats. L’attente y est d’autant plus longue que les élites ont le droit de passer devant tout le monde.  Ces gens-là sont comme nous, ils ont des petits besoins, des petits tracas intestinaux et du stress sur le départ. Mais ils sont beaucoup plus rapides que nous, que ce soit pour boucler le marathon ou pour s’asseoir sur le pot. En fait ils ne sont pas du tout comme nous, finalement, quand on y pense bien.

Nos vessies sont enfin sereines mais nos montres s’affolent : il nous reste une minute pour rejoindre notre corral. On se hâte, on dépasse les lambins qui avancent eux aussi pour se placer, plus loin, dans la masse des coureurs, on bouscule (houps, pardon) quelques spectateurs, on escalade la berme de béton qui nous sépare de la colonne du départ, on se débarrasse nos robes-sacs-poubelle (un monsieur sera assez gentil pour les récupérer et les jeter proprement). Ouf, on est dans le tas, deux parmi des milliers d’autres, deux parmi 2114 autres

L’heure passe, retard sur le départ. Quelques minutes encore. Une chanson musclée se lève dans les haut-parleurs, je ne sais plus laquelle sauf que c
est du gros, du lourd, du censément galvanisant, wouhou, la foule s’excite. Je suis nerveuse et contente. Nous y sommes enfin. J’embrasse ma mère qui est mon idole absolue (meilleur temps au marathon : 2 h 57), je suis émue de me retrouver là, avec elle, pour mon premier marathon. 8 h 40:02, j’appuie sur le bouton start, c’est parti mon kiki.

Du pont, on redescend dans le parc Jean-Drapeau, certains participants du semi qui partira deux heures plus tard sont déjà présents sur les lieux. J’entends « Allez 11 11 ! », je me retourne, c’est Luis de la Boutique Endurance. Oui, 1111, assurément le plus beau dossard de tout le marathon et c’est moi qui l’ai eu ! Les prochains encouragements personnalisés viendront 30 km plus tard. 

Le premier kilomètre dure 5 minutes 47, il faut slalomer le temps que la foule du départ se dissolve. Passé ce premier kilomètre, j’essaierai de tenir des kilomètres sous les 5 minutes. Dans tous les cas, j’abandonne immédiatement l’objectif du 4:45 fixé par mon entraîneur. La confiance n’y est pas. Au pied de la Ronde (le parc d’attraction), je dépasse Stefaan Engels alias MarathonMan dont ça doit bien être le quatrième marathon à Montréal. Le quatrième en quatre jours ! Je lui adresse quelques mots en flamand, c’est un compatriote, ça fait toujours plaisir. Sur le circuit Gilles-Villeneuve, j’ai un peu de compagnie car je retrouve trois coureurs du groupe de Fleurus. Ils sont marrants, ils plaisantent tout le temps. Les spectateurs crient des « Go la Belgique » (tout le groupe porte un maillot nationalisé). Ça aussi ça fait plaisir, tous ces mots des spectateurs. Je laisse mes amis après quelques kilomètres parce qu’ils font un arrêt pipi et moi non. Je rentabilise déjà l’investissement pré-départ. 

Pont de la Concorde, on quitte l’île Notre-Dame. Du vent (de face), un Breton sans chapeau rond mais  avec drapeau, trop peu de gens pour s’abriter du vent, on fait face. On arrive dans la zone industrielle du port. Sacrée belle ville ! J’ironise, mais Montréal est une ville charmante, pourquoi nous fait-on courir entre des hangars et sous des ponts d’autoroute ? Dans cette non-ville dans la ville, les ouvriers sortent des usines pour voir passer les marathoniens et les encourager. Merci messieurs
! Le public est clairsemé mais on capte lénergie qu’il donne sans compter. J’ai beau me plaindre du paysage, j’aime au moins son calme. Entre coureurs non plus on ne se bouscule pas, cette tranquillité me convient. Déjà 14 km sont passés, je tiens mes promesses côté allure. 

Un groupe de coureurs à l’horizon, un gars qui court avec une pancarte (le pauvre), cest le lapin et le peloton des 3h30. Je vais finir par les dépasser, ils finiront par me rattraper (ça fait un brom brom brom martial quand ils approchent, je pense au Concombre masqué dont le potager est, dans mon souvenir, traversé du même brom brom). Quand elle m'aura dépassée, j’essaierai de garder l’œil sur la troupe du lapin mais elle semble négliger les ravitaillements. Pour ma part, je prends un gobelet d’eau à chaque poste, pas question de risquer la déshydratation. Côté nutrition, une ou deux tablettes de type Isostar aux demi-heures et un cachet de Sporténine à chaque heure. J’ai l’impression de passer le marathon à boire et à manger. Arrivée dans le vieux port, plus joli, densité toujours idéale de spectateurs et de coureurs. C’est parfait. 

On arrive dans un nouveau paysage aux charmes stupéfiants, dans le béton désert qui s
étale au pied de la tour Radio Canada. Kilomètre 18, houps : 5:14, immédiatement compensé par un km 19 en 4:34. Je gère. Quelque part par là, je vois Plastic Patrik méconnaissable dans sa tenue normal de coureur normal, je l’interpelle et lui demande d’autographier mon maillot. Mais non, vous voulez rire, j’aurai d’autres occasion, j’aime mieux continuer mon petit bonhomme de chemin. Traversée du Village, remontée dans Hochelaga. Beaucoup denfants joyeux, je tape dans les mains qu’ils tendent, je réponds aux saluts des spectateurs, je les applaudis en retour quand ils applaudissent parce qu’ils participent eux aussi à cet immense effort collectif qui traverse Montréal. Il y a des crécelles, des vivats, de la musique, mais la kermesse est assez sobre pour me laisser dans moi. Courir me met dans un état un peu second dans lequel j’aime bien rester. Avancer dans un environnement qui s’absente de l’effort, ne pas se faire happer par le monde qu’on traverse, le traverser. Je suis là et je ne suis pas là, je suis consciente et détachée. Dans le Village, on bascule dans la deuxième moitié du marathon. Temps de passage : 1h44:59. Mais ça, je l’ignore car j’ai décidé de me concentrer sur mon temps au kilomètre. Pas de conjectures sur le chrono, un kilomètre à la fois. Tout va bien, tout va bien, tout va bien. Je cours, point. 

C’est vers le km 24 que ce marathon a commencé à vraiment m
énerver...