jeudi 28 avril 2011

Transbaie 2008

Je suis très émue et très heureuse de vous livrer ce récit de course. 

Émue parce que mon papa en est l'auteur. Il l'avait écrit en 2008 après sa participation à la Transbaie avec ma mère et quelques autres membres de l'Aclo, leur club de course. La Transbaie, je devrais avoir l'occasion de vous en reparler cet été, est une course vraiment très spéciale qui se déroule en Baie de Somme (France) à différentes dates chaque année, selon les caprices du calendrier des marées. Après avoir lu ceci, vous comprendrez ce que les marées viennent faire là-dedans. Comme on préparait notre participation à la course cet été, une deuxième édition pour mes parents, une première pour moi, mon père a exhumé ce texte qui avait paru à l'époque dans la revue ou sur le site internet de l'Aclo. Il me l'a envoyé tout juste deux jours avant son décès. Voilà pour l'émotion.

Et si je suis heureuse de vous livrer son texte, c'est parce qu'il me fait beaucoup rire et qu'il lui ressemble beaucoup. J'aurais trouvé dommage que vous n'eussiez pas fait connaissance avec l'un et l'autre.

Transbaie - 29 juin 2008
(La seule course interdite aux moins d’un mètre soixante.
Il reste un an pour grandir)

Comme tout fleuve de bonne famille, la Somme se jette dans la mer. Elle a choisi de le faire dans la Baie de Somme. C’est donc un fleuve bien organisé, même si on peut penser qu’il manque un peu d’imagination. 

De part et d’autre de la Baie se trouvent deux villes. Le Crotoy et Saint Valery sur Somme. Ces deux villes sont distantes d’environ 5 kilomètres à vol d’oiseau. Dans cette région, les marées sont très importantes et il est possible de joindre les deux villes à pied sec à marée basse. Deux fois par jour donc. 

Depuis 20 ans, il existe une course à pied, la TRANSBAIE, qui sous forme d’aller-retour, relie Saint Valery et Le Crotoy. Cette année cette course avait lieu le 29 juin. Victor et Dominique, pour la deuxième fois, Claudine et moi-même avions décidé d’y participer. Nous n’étions pas les seuls puisque, selon les organisateurs il y avait 7.200 inscrits. Je ne possède pas les chiffres de la Police.

Claudine et moi-même étions sur place dès la veille. Nous nous posions beaucoup de questions sur la façon dont le parcours serait balisé. Comme la baie est complètement submergée à marée haute, il n’est pas possible de mettre à l’avance un balisage fixe. Nous avions lu que la traversée de la Baie à marée basse devait se faire obligatoirement avec un guide car il y a par endroit des sables mouvants, nous pensions bien qu’on n’allait pas lâcher les concurrents en leur disant : « Vous touchez la digue en face et vous revenez. » Nous verrions bien.

Dimanche, sur le coup de 14h30, le petit train de la Baie de Somme siffle et les coureurs sont libérés. Il faut plusieurs minutes avant de pouvoir courir. Pour délayer le peloton, le parcours commence par un petit tour dans la ville de Saint Valery. Il n’empêche que des bouchons se reforment encore. Après environ 3 kilomètres, nous descendons enfin dans la baie. Directement- nous ne sommes pas dans les premiers-, le sol est boueux, cela sent la marrache. Chacun essaye tant bien que mal de trouver un endroit plus praticable et de ne pas trop se salir. Ces précautions sont vite abandonnées. Il n’y a pas 36 solutions. Le parcours est effectivement balisé avec des fanions sur une largeur variable, qui peut aller jusqu’à cent mètres. Régulièrement, des signaleurs veillent à ce que les coureurs ne quittent pas la zone et ne s’engagent dans des endroits dangereux. À part cela, quartier libre.

Au début, ce sont surtout des passages boueux, une boue lourde, grasse, collante dont on a du mal à s’extirper. Anecdote. Un moment je dépasse quelqu’un. (Cela me fait toujours plaisir. C’est si rare.) Arrivé à sa hauteur, je comprends. Il est littéralement collé dans la boue et incapable de s’extirper. Serviable comme d’habitude, je l’ai tiré de ce mauvais pas après qu’il m’ait promis de passer la ligne d’arrivée après moi. Je n’ai pas exigé d’écrit. Ensuite, la boue est toujours présente, mais on varie un peu. Soit on la cache sous une espèce de petite rivière. En principe, ce n’est pas très profond, mais on peut parfois avoir de l’eau jusqu’à la taille car il y a des trous. Avantage cependant, on est quelque peu nettoyé. Soit elle est au fond de fossés. D’une profondeur qui peut aller jusqu’à un mètre cinquante (d’où la taille minimale imposée), ils sont de largeur variable. Aux premiers fossés, on essaye de faire le Bob Beamon mais, avec le temps, on utilise plus fréquemment la technique toboggan. C’est pratique pour descendre. C’est une autre paire de manches pour remonter. Anecdote. Un moment je dépas… Euh. Je crois que je l’ai déjà raconté. C’est la fatigue.

Tout doucement, car on doit souvent marcher, on aperçoit Le Crotoy et la mi-course. On croise les premiers coureurs. Peu de temps après, grosse déception. Victor est déjà sur le chemin du retour. Il me salue avec un grand sourire. Il faut garder son calme.

Après un passage sur la digue du Crotoy, c’est le retour, qui heureusement est plus facile. La plus grosse difficulté, c’est la remontée sur la berge qui rejoint Saint Valery.
 
 
 Remontée vers Saint Valery
(Jeu de la délation : Une athlète louviéroise ne pourra pas être reprise dans le Challenge du club car elle n’a pas le maillot officiel. [...] Indice. Elle porte le dossard 4350.)

Dès la ligne d’arrivée franchie, une bonne douche sera la bienvenue. Hélas, il n’y a ni douche ni vestiaires. Pour se décrotter, un engin original. Un pulvérisateur agricole. J’espère qu’il était neuf. J’ai cependant remarqué quelques cheveux gris depuis que je l’ai utilisé. 
 Jean-Luc LOBET

mardi 26 avril 2011

Pourquoi je cours, III

Prophylactique
(été 2010, avril 2011)

La lutte contre le stress n’est à vrai dire pas exactement ce qui me poussa à (re)nouer sérieusement avec la course à pied. En fait, courir est une décision d’investisseur. À l’aube de la trentaine (j’avais 31 ans), j’ai décidé d’investir dans ma santé. Une décision toute rationnelle qui constitue la meilleure façon d’appréhender sans paniquer le jogging comme une activité régulière (au grand minimum trois fois par semaine) et à long terme (jusqu’à ce que les jambes m’en tombent).

 
Je m’en souviens très bien, c’était en juin 2009. Les enfants étaient partis pour une semaine ou deux avec leur père chez les grands-parents, à 1 000 kilomètres de moi. Je me devais de profiter de cette paix rare et précieuse et ne pas la gaspiller en des heures trop oiseuses. Bouger et profiter du beau soleil étaient au programme. Je démarrai sans doute par trente ou quarante minutes de footing qui me parurent fort agréables et, ma foi, pas difficiles. De quoi me donner envie de ne pas en rester là. Dans ces mêmes jours, j’eus avec ma mère une conversation dont je me souviens très bien. Elle me désignait une coureuse sur la piste d’athlétisme en m’expliquant qu’elle se remettait d’un cancer, elle me fit ensuite une liste d’amis touchés par la maladie pour conclure que, dans son entourage, ceux qui pratiquaient le sport étaient, non pas épargnés par la maladie et les effets de l’âge, mais mieux armés que les autres pour les combattre. Probablement en raison de leur condition physique générale, d’un mental plus combattif, de leur besoin de revenir ou de rester en activité et par leur hygiène de vie globalement meilleure. 

 
Ma mère est elle-même percluse d’arthrose, à tel point qu’après un examen sa radiologue se mit à la plaindre sincèrement pour l’enfer dans lequel la douleur devait la plonger. En effet, un individu appartenant au Reste du monde souffrirait atrocement, ma mère non. Pour les sceptiques qui pourraient facilement blâmer la course à pied de calciner les corps, précisons que sa sœur jumelle, sa « vraie » jumelle, autant dire son clone, sans avoir jamais couru, souffre des mêmes maux, qu’on ne saurait donc attribuer à des décennies de jogging. Ma mère a comme sa jumelle le dos parfois douloureux et des pieds aux étonnants contours.

 
Mes parents courent depuis trente ans. Ont couru pendant trente ans, dois-je corriger en cet avril 2011 (car entre temps mon père nous a quittés, comme je lui en veux). J’aimerais après trente ans de course à pied me porter comme ma mère se porte et comme mon père se portait. Tant de bénéfices valent bien quelques tendinites et des ménisques en dentelle. 

 
Et notez encore ceci, s’il vous plaît, sur la liste des bénéfices physiques de la course à pied. En plus d’être en forme et de se préparer à le rester, le coureur peut sans trop de conséquences s’adonner aux plaisirs de la chère. Les calories sont une énergie que le coureur absorbe et dépense sans compter. Vraiment, avec cet argument, je ne sais ce qui retient le Reste du monde. Peut-être sent-il confusément qu’à ce régime on ne peut plus vraiment se permettre d’arrêter de courir ? Car l’appétit vient en courant mais ne repart pas quand on ne court plus, pas tout de suite en tout cas. Vous avez commencé à courir ? Vous êtes condamnés ou à continuer ou à une diète éternelle.

dimanche 17 avril 2011

Pourquoi je cours, II

Anxiolytique et cathartique
(été 2010)

Après cette démission (voir message précédent), pendant une quinzaine d’années, je courus sporadiquement. En pointillé. Je ne me souviens pas pour quelles raisons je m’y mettais ni pour lesquelles j’arrêtais. Sauf un printemps précis, juste après mes études. C’était pendant ma brève carrière d’enseignante dans un lycée quelque peu dissipé (faut-il préciser que je manie l’euphémisme ?) où je remplaçais une professeure poussée à la dépression par la bêtise et divers projectiles. Quatre mois d’enfer dont mes nerfs et mon esprit réchappèrent grâce à la course à pied. Elle faillit même faire monter ma cote dans les classes : un hâle précoce pour la saison suscitait l’admiration de mes élèves superficielles et maquillées. Je leur vendis mon petit secret (le sport de plein air) et perdis toute crédibilité. Faut-il être idiot pour ignorer que le fond de teint et le banc solaire donnent les mêmes résultats pour beaucoup moins d’effort. Je crois qu’une blessure et le début d’un travail moins stressant mirent fin à ce retour à peu près sérieux à la course. Il y eut ensuite d’autres périodes de reprise, mais jamais rien d’aussi intense et sérieux qu’aujourd’hui. Autrement dit, le pouvoir anxiolytique de la course à pied n’est pas un motif d’investissement suffisant pour une pratique dans la durée, bien que le jogging représente à mon sens le moyen le plus facile, le plus immédiat et le plus économique de combattre le stress. Une tenue minimale, une paire de chaussures, un peu de rage à dépenser et vous voilà sur les chemins. C’est ce que professent les coureurs, moi y compris, ignorant pourtant que nous ne sommes pas égaux devant l’effort et que ce qui est facile pour les uns est une torture pour d’autres.

La vie passait, les temps changent et nous aussi. Tout comme j’alléguais ne pas aimer le sport, je déclarais ne pas aimer les enfants ; comme le sport arriva, les enfants vinrent. Ils vinrent d’abord, et sportivement qui plus est, dans un sprint foudroyant : trois enfants en moins d’un an, en commençant par des jumeaux. La parentalité comme un sport en soi, elle tient en forme et elle épuise. Sauf que, pour les parents, pas moyen de se planquer dans les vestiaires. Pas moyen de se planquer dans les vestiaires, certes, mais on peut en sortir chaussé(e) de running et oublier pour quelques heures son état de Sisyphe. Vos bébés ne vous suivront pas (vous courez bien plus vite qu’eux) et passé une certaine distance leurs cris et leurs demandes incessantes ne vous atteignent plus : dans vos oreilles ne résonnent plus que vos battements de cœur. Ô ce presque silence.

Une fuite, me direz vous ? Certes, mais dès lors qu’il s’agit de sport, qui reprochera à une mère de famille d’abandonner ses petits et de ne penser qu’à elle ? Car, l'avez-vous remarqué ? l’abnégation et le courage, présumé, du sportif qui s’astreint à la souffrance avec tant de régularité suscitent toujours l’admiration du Reste du monde – ne le détrompons pas. Ainsi une mère indigne se transforme-t-elle en mère courage et les critiques en supporteurs. Cela dit, la famille gagne réellement à ces petits abandons puisqu’elle récolte les effets de la sérénité et de la saine fatigue dont rayonne le coureur après l’effort. Un seul de ses membres court et toute une famille en profite, voilà une belle mutualisation des bénéfices. 

Paradoxalement, il faut donc s’activer pour se reposer. (Et avoir un conjoint assez merveilleux pour supporter sans trop se plaindre vos fuites penta-hebdomadaires.) C’est ce que je compris un jour de juin 2009, un an et demi après la naissance de mon troisième petit bonhomme.

jeudi 14 avril 2011

Pourquoi je cours, I

Une affaire de famille, et de principes
(été 2010)

Pauvres enfants dont les parents sont sportifs. Vos parents courent et vous courez aussi. Si vous ne courez pas, vous les regardez courir et vous devez en toute logique (celle de l’esprit et du corps sains) vous commettre dans n’importe quel autre sport pourvu que ce fût du sport.

Avant le club d’athlétisme, je connus avec ma sœur l’école de natation, pendant mille ans il me semble, où l’on m’apprit à ne pas couler comme un caillou mais qui ne m’enseigna pas à ne pas avoir l’air d’un caillou qui nage. Je connus ensuite la gymnastique olympique, pendant mille autres années qui m’ont laissé pour tout souvenir l’enchaînement du déroulé-re-roulé de tapis de sol jaunes et poussiéreux. Pour le reste, je suis comme le chêne : plutôt rompre que ployer ; les entraîneurs du cours de gym n’avaient pas l’âme de bûcheron, nous en restâmes là. Je connus enfin le club d’athlétisme, en famille, dans la joie et dans la bonne humeur. De 10 à 14 ans je crois, autant dire mille ans encore.

À vrai dire, à 10 ans je connaissais déjà bien le club et depuis fort longtemps, car nos parents nous y traînaient ma sœur et moi avec un stock de Barbie et quelques bouteilles d’orangeade de la marque Parasol qu’il nous était permis d’acheter à crédit à la buvette. L’hiver nous jouions aux Barbie dans la salle de sport ; l’été nous restions sur la bande de pelouse qui séparait la piste en cendrée du terrain de foot, nous confectionnions des colliers de pâquerettes que nous jetions à notre mère de 400 mètres en 400 mètres. L’entraînement fini, nous prenions des bains de vapeur dans l’odeur humide du vestiaire et attendions le retour à la maison, que retardait souvent un passage à la buvette (autre Parasol, chips au paprika et gaufre au sucre pour les enfants, eau et bière pour les parents, odeurs de propre sur le gens et leurs cheveux mouillés, odeur de sportifs dans les sacs au pied du comptoir). Le dimanche, pendant la saison de cross, nous devions quitter notre lit pour la boue, le froid, les marmites de vin chaud et la soupe à l’oignon. Un chapiteau sonore et humide, plein de sportifs, de sacs de sport et d’annonces au micro accueillait la remise des médailles et le tirage d’une tombola interminable et somptueusement dotée (jeux de cartes, bob sponsorisé, passoires, essoreuses à salade, statuettes en biscuit, savons, sous-plat en plastique véritable, services à punch et planches à découper). Le dimanche, pendant la saison de piste, en gros c’était pareil, sauf que c’était plutôt le samedi ou le vendredi soir, plutôt plus chaud et tout à fait sans tombola.

Arrivées en âge de courir, ma sœur et moi fîmes la même chose qu’avant, mais en plus il nous fallait courir. Mille ans de dimanches et de mercredis sacrifiés (ni grasses matinées ni dessins animés pour les braves), mille ans de semaines d’école agonisant à l’entraînement au lieu de capituler dans la paresse du vendredi soir.

Je ne me souviens pas de quel stratagème usa ma sœur pour sortir des geôles du stade, pour ma part je fus sauvée par des cours de diction et de déclamation « malheureusement » programmés aux mêmes horaires que les entraînements. Ce n’était pas du sport mais ce n’était pas non plus de l’oisiveté et je pus troquer mon inscription au club d’athlétisme contre une inscription au conservatoire. Contrairement au stade, le conservatoire était au centre-ville et pas très loin de l’école, je pus enfin vivre la vie sociale des autres adolescents, avoir un amoureux et sacrifier au rite des verres au café le vendredi après les cours. Je ne sais pas si ma diction y gagna mais ma condition physique n’en pâtit pas, preuve que je pratiquais la course à pied sans trop m’y fatiguer. À vrai dire j’étais une athlète assez médiocre et j’exerçais au stade surtout l’art de la conversation. J’avais quelques amis qui partageaient mon sort, mais au fil du temps le groupe de mes camarades s’égaillait et rapetissait tranquillement, de sorte que je quittai sans tristesse la course et le stade.