Une affaire de famille, et de principes
(été 2010)
Pauvres enfants dont les parents sont sportifs. Vos parents courent et vous courez aussi. Si vous ne courez pas, vous les regardez courir et vous devez en toute logique (celle de l’esprit et du corps sains) vous commettre dans n’importe quel autre sport pourvu que ce fût du sport.
Avant le club d’athlétisme, je connus avec ma sœur l’école de natation, pendant mille ans il me semble, où l’on m’apprit à ne pas couler comme un caillou mais qui ne m’enseigna pas à ne pas avoir l’air d’un caillou qui nage. Je connus ensuite la gymnastique olympique, pendant mille autres années qui m’ont laissé pour tout souvenir l’enchaînement du déroulé-re-roulé de tapis de sol jaunes et poussiéreux. Pour le reste, je suis comme le chêne : plutôt rompre que ployer ; les entraîneurs du cours de gym n’avaient pas l’âme de bûcheron, nous en restâmes là. Je connus enfin le club d’athlétisme, en famille, dans la joie et dans la bonne humeur. De 10 à 14 ans je crois, autant dire mille ans encore.
À vrai dire, à 10 ans je connaissais déjà bien le club et depuis fort longtemps, car nos parents nous y traînaient ma sœur et moi avec un stock de Barbie et quelques bouteilles d’orangeade de la marque Parasol qu’il nous était permis d’acheter à crédit à la buvette. L’hiver nous jouions aux Barbie dans la salle de sport ; l’été nous restions sur la bande de pelouse qui séparait la piste en cendrée du terrain de foot, nous confectionnions des colliers de pâquerettes que nous jetions à notre mère de 400 mètres en 400 mètres. L’entraînement fini, nous prenions des bains de vapeur dans l’odeur humide du vestiaire et attendions le retour à la maison, que retardait souvent un passage à la buvette (autre Parasol, chips au paprika et gaufre au sucre pour les enfants, eau et bière pour les parents, odeurs de propre sur le gens et leurs cheveux mouillés, odeur de sportifs dans les sacs au pied du comptoir). Le dimanche, pendant la saison de cross, nous devions quitter notre lit pour la boue, le froid, les marmites de vin chaud et la soupe à l’oignon. Un chapiteau sonore et humide, plein de sportifs, de sacs de sport et d’annonces au micro accueillait la remise des médailles et le tirage d’une tombola interminable et somptueusement dotée (jeux de cartes, bob sponsorisé, passoires, essoreuses à salade, statuettes en biscuit, savons, sous-plat en plastique véritable, services à punch et planches à découper). Le dimanche, pendant la saison de piste, en gros c’était pareil, sauf que c’était plutôt le samedi ou le vendredi soir, plutôt plus chaud et tout à fait sans tombola.
Arrivées en âge de courir, ma sœur et moi fîmes la même chose qu’avant, mais en plus il nous fallait courir. Mille ans de dimanches et de mercredis sacrifiés (ni grasses matinées ni dessins animés pour les braves), mille ans de semaines d’école agonisant à l’entraînement au lieu de capituler dans la paresse du vendredi soir.
Je ne me souviens pas de quel stratagème usa ma sœur pour sortir des geôles du stade, pour ma part je fus sauvée par des cours de diction et de déclamation « malheureusement » programmés aux mêmes horaires que les entraînements. Ce n’était pas du sport mais ce n’était pas non plus de l’oisiveté et je pus troquer mon inscription au club d’athlétisme contre une inscription au conservatoire. Contrairement au stade, le conservatoire était au centre-ville et pas très loin de l’école, je pus enfin vivre la vie sociale des autres adolescents, avoir un amoureux et sacrifier au rite des verres au café le vendredi après les cours. Je ne sais pas si ma diction y gagna mais ma condition physique n’en pâtit pas, preuve que je pratiquais la course à pied sans trop m’y fatiguer. À vrai dire j’étais une athlète assez médiocre et j’exerçais au stade surtout l’art de la conversation. J’avais quelques amis qui partageaient mon sort, mais au fil du temps le groupe de mes camarades s’égaillait et rapetissait tranquillement, de sorte que je quittai sans tristesse la course et le stade.
Quel bonheur de te lire! J'ai hâte à la partie II. Tu as raison, on se ressemble, sauf que mes parents à moi, c'étaient d'avides travailleurs, je ne les voyais pas souvent. Alors j'excellais dans l'oisiveté, seule à la maison!
RépondreSupprimerSuperbe texte, Miss. Aaaah, je les sens encore ces odeurs de vestiaire et de buvette ! Mais j'avais choisi tout seul d'y aller: parents pas sportifs du tout !!!
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