dimanche 17 avril 2011

Pourquoi je cours, II

Anxiolytique et cathartique
(été 2010)

Après cette démission (voir message précédent), pendant une quinzaine d’années, je courus sporadiquement. En pointillé. Je ne me souviens pas pour quelles raisons je m’y mettais ni pour lesquelles j’arrêtais. Sauf un printemps précis, juste après mes études. C’était pendant ma brève carrière d’enseignante dans un lycée quelque peu dissipé (faut-il préciser que je manie l’euphémisme ?) où je remplaçais une professeure poussée à la dépression par la bêtise et divers projectiles. Quatre mois d’enfer dont mes nerfs et mon esprit réchappèrent grâce à la course à pied. Elle faillit même faire monter ma cote dans les classes : un hâle précoce pour la saison suscitait l’admiration de mes élèves superficielles et maquillées. Je leur vendis mon petit secret (le sport de plein air) et perdis toute crédibilité. Faut-il être idiot pour ignorer que le fond de teint et le banc solaire donnent les mêmes résultats pour beaucoup moins d’effort. Je crois qu’une blessure et le début d’un travail moins stressant mirent fin à ce retour à peu près sérieux à la course. Il y eut ensuite d’autres périodes de reprise, mais jamais rien d’aussi intense et sérieux qu’aujourd’hui. Autrement dit, le pouvoir anxiolytique de la course à pied n’est pas un motif d’investissement suffisant pour une pratique dans la durée, bien que le jogging représente à mon sens le moyen le plus facile, le plus immédiat et le plus économique de combattre le stress. Une tenue minimale, une paire de chaussures, un peu de rage à dépenser et vous voilà sur les chemins. C’est ce que professent les coureurs, moi y compris, ignorant pourtant que nous ne sommes pas égaux devant l’effort et que ce qui est facile pour les uns est une torture pour d’autres.

La vie passait, les temps changent et nous aussi. Tout comme j’alléguais ne pas aimer le sport, je déclarais ne pas aimer les enfants ; comme le sport arriva, les enfants vinrent. Ils vinrent d’abord, et sportivement qui plus est, dans un sprint foudroyant : trois enfants en moins d’un an, en commençant par des jumeaux. La parentalité comme un sport en soi, elle tient en forme et elle épuise. Sauf que, pour les parents, pas moyen de se planquer dans les vestiaires. Pas moyen de se planquer dans les vestiaires, certes, mais on peut en sortir chaussé(e) de running et oublier pour quelques heures son état de Sisyphe. Vos bébés ne vous suivront pas (vous courez bien plus vite qu’eux) et passé une certaine distance leurs cris et leurs demandes incessantes ne vous atteignent plus : dans vos oreilles ne résonnent plus que vos battements de cœur. Ô ce presque silence.

Une fuite, me direz vous ? Certes, mais dès lors qu’il s’agit de sport, qui reprochera à une mère de famille d’abandonner ses petits et de ne penser qu’à elle ? Car, l'avez-vous remarqué ? l’abnégation et le courage, présumé, du sportif qui s’astreint à la souffrance avec tant de régularité suscitent toujours l’admiration du Reste du monde – ne le détrompons pas. Ainsi une mère indigne se transforme-t-elle en mère courage et les critiques en supporteurs. Cela dit, la famille gagne réellement à ces petits abandons puisqu’elle récolte les effets de la sérénité et de la saine fatigue dont rayonne le coureur après l’effort. Un seul de ses membres court et toute une famille en profite, voilà une belle mutualisation des bénéfices. 

Paradoxalement, il faut donc s’activer pour se reposer. (Et avoir un conjoint assez merveilleux pour supporter sans trop se plaindre vos fuites penta-hebdomadaires.) C’est ce que je compris un jour de juin 2009, un an et demi après la naissance de mon troisième petit bonhomme.

7 commentaires:

  1. mais qu'est-ce que tu écris bien ! vite la suite des aventures de Delphine. Bienvenue dans la blogosphère il y a de la place pour des écrits amusants et de qualité.

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  2. J'adore! "Un seul de ses membres court et toute la famille en profite" C'est tellement vrai!
    Et on se ressemble jusqu'à notre début/retour à la course: un jour de juin 2009... Incroyable.

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  3. Merci les filles! On est des sœurs de course toutes les trois!

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  4. Ton style ne faiblit pas, toujours un magnifique voyage ! Je surenchéris dans la confirmation qu' "Un seul de ses membres court et toute une famille en profite".

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  5. Hé bien, j'aurais dû lire ces 2 billets bien avant avec tous ces petits secrets révélés! Je suis contente d'en connaître plus sur toi Delphine.

    Et contente d'avoir pris le temps de lire aujourd'hui en ce grand jour! 1h33! Quel temps!

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  6. C'est précisément pour l'effet anxiolytique de la course que j'ai commencé à courir. Pour moi, les bienfaits sont non négligeables !

    PS Première visite...je reviendrai ! :)

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  7. Merci de la visite, Grande Dame! J'apprends par blog interposé que vous avez un tas d'enfants (je fais pâle figure à côté), ça aussi ça fait un tas de bonnes raisons de courir!

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