lundi 6 juin 2011

Marathon de Montréal 2010, III

Le marathon, première partie
(5 septembre 2010)

Enfin arriva le jour M comme Marathon. 


Sonnez hautbois, résonnez musettes. 
 

Depuis des semaines, je suivais religieusement mon plan d’entraînement, jencodais chaque séance dans ma montre GPS, j’en analysais ensuite le déroulement, je bichonnais mes pieds, j’écoutais mes jambes, je prenais du magnésium, je testais les glucides et mon hydratation, je me laissais pousser les cheveux pour les mieux attacher, j’avais, des chaussettes au maillot, défini la tenue qui minimiserait les risques d’ampoules et d’irritations, je pensais à la course avant de dormir et au réveil, pendant la nuit et à toute heure du jour. J’avais prévu de raconter en quelques mots lyriques le transport, l’épopée, la plénitude, ma rencontre avec ce moi caché qui, paraît-il, vit aux confins de nos propres limites. On m’avait promis du mystique, que je ne serais plus jamais la même après cette traversée. Les souvenirs que j’allais en garder, le récit que j’allais en faire, l’histoire que je raconterais, devenue vieille, à mes petits-enfants..., j’y goûtais par avance. « Si tu veux courir, cours un kilomètre. Si tu veux changer ta vie, cours un marathon », aurait dit Emil Zatopek. Je ne sais s’il a vraiment dit ça ou si on le lui a fait dire, mais je sais que ma vie na pas changé. Pas du tout. Ni ma vie ni moi, ce qui revient au même. D'ailleurs, nous sommes au printemps 2011 et je prends seulement le temps de raconter cette expérience qui en fut si peu une.

Ce matin-là, ma mère et moi nous levons tôt. Nous nous habillons, déjeunons silencieusement (pour moi, du café et une pile de tartines au choco) et quittons la maison qui dort encore profondément. Sur le quai du métro, des concurrents attendent et s’observent dans un silence recueilli. Station Berri-Uqam, changement de ligne, on retrouve par hasard des camarades belges qui se rendent eux aussi sur le site du départ (mes parents se sont joints pour leurs vacances au Québec au groupe du club de Fleurus qui organise régulièrement des séjours touristico-marathoniens). Dans le parc Jean-Drapeau, une colonne d’autobus scolaires, aussi jaunes qu
il se doit, ramassent les sacs des coureurs. Le matin est frisquet, la ville a abandonné laffreuse chaleur moite qui laccablait encore la veille. Une fois nos effets déposés, il ne nous reste pour braver la fraîcheur que nos sacs poubelles élégamment taillés, un trou pour la tête, deux trous pour les bras. Nous ne sommes pas seules dans cette tenue.
Collection été 2010
Je croise deux amis de Montréal pour qui ce sera aussi le premier marathon. Nous faisons plusieurs fois la queue devant la rangée de toilettes mobiles, une attente bien disciplinée qui continue de me surprendre. Entre deux rafales de vent et deux queues aux toilettes, nous tentons de nous réchauffer aux rayons du soleil. 

L’heure du départ approche. On se dirige vers le pont Jacques-Cartier en espérant trouver sur le chemin une nouvelle rangée de toilettes – on n’ose pas s’attarder derrière un buisson comme on laurait fait en Europe. Ces pipis sur le départ sont une calamité, mais on redoute tant de devoir sarrêter sur le parcours... : vessie légère, esprit léger. Même chose pour les intestins. Sur le pont, nous repérons 4 ou 5 toilettes, et beaucoup plus de candidats. L’attente y est d’autant plus longue que les élites ont le droit de passer devant tout le monde.  Ces gens-là sont comme nous, ils ont des petits besoins, des petits tracas intestinaux et du stress sur le départ. Mais ils sont beaucoup plus rapides que nous, que ce soit pour boucler le marathon ou pour s’asseoir sur le pot. En fait ils ne sont pas du tout comme nous, finalement, quand on y pense bien.

Nos vessies sont enfin sereines mais nos montres s’affolent : il nous reste une minute pour rejoindre notre corral. On se hâte, on dépasse les lambins qui avancent eux aussi pour se placer, plus loin, dans la masse des coureurs, on bouscule (houps, pardon) quelques spectateurs, on escalade la berme de béton qui nous sépare de la colonne du départ, on se débarrasse nos robes-sacs-poubelle (un monsieur sera assez gentil pour les récupérer et les jeter proprement). Ouf, on est dans le tas, deux parmi des milliers d’autres, deux parmi 2114 autres

L’heure passe, retard sur le départ. Quelques minutes encore. Une chanson musclée se lève dans les haut-parleurs, je ne sais plus laquelle sauf que c
est du gros, du lourd, du censément galvanisant, wouhou, la foule s’excite. Je suis nerveuse et contente. Nous y sommes enfin. J’embrasse ma mère qui est mon idole absolue (meilleur temps au marathon : 2 h 57), je suis émue de me retrouver là, avec elle, pour mon premier marathon. 8 h 40:02, j’appuie sur le bouton start, c’est parti mon kiki.

Du pont, on redescend dans le parc Jean-Drapeau, certains participants du semi qui partira deux heures plus tard sont déjà présents sur les lieux. J’entends « Allez 11 11 ! », je me retourne, c’est Luis de la Boutique Endurance. Oui, 1111, assurément le plus beau dossard de tout le marathon et c’est moi qui l’ai eu ! Les prochains encouragements personnalisés viendront 30 km plus tard. 

Le premier kilomètre dure 5 minutes 47, il faut slalomer le temps que la foule du départ se dissolve. Passé ce premier kilomètre, j’essaierai de tenir des kilomètres sous les 5 minutes. Dans tous les cas, j’abandonne immédiatement l’objectif du 4:45 fixé par mon entraîneur. La confiance n’y est pas. Au pied de la Ronde (le parc d’attraction), je dépasse Stefaan Engels alias MarathonMan dont ça doit bien être le quatrième marathon à Montréal. Le quatrième en quatre jours ! Je lui adresse quelques mots en flamand, c’est un compatriote, ça fait toujours plaisir. Sur le circuit Gilles-Villeneuve, j’ai un peu de compagnie car je retrouve trois coureurs du groupe de Fleurus. Ils sont marrants, ils plaisantent tout le temps. Les spectateurs crient des « Go la Belgique » (tout le groupe porte un maillot nationalisé). Ça aussi ça fait plaisir, tous ces mots des spectateurs. Je laisse mes amis après quelques kilomètres parce qu’ils font un arrêt pipi et moi non. Je rentabilise déjà l’investissement pré-départ. 

Pont de la Concorde, on quitte l’île Notre-Dame. Du vent (de face), un Breton sans chapeau rond mais  avec drapeau, trop peu de gens pour s’abriter du vent, on fait face. On arrive dans la zone industrielle du port. Sacrée belle ville ! J’ironise, mais Montréal est une ville charmante, pourquoi nous fait-on courir entre des hangars et sous des ponts d’autoroute ? Dans cette non-ville dans la ville, les ouvriers sortent des usines pour voir passer les marathoniens et les encourager. Merci messieurs
! Le public est clairsemé mais on capte lénergie qu’il donne sans compter. J’ai beau me plaindre du paysage, j’aime au moins son calme. Entre coureurs non plus on ne se bouscule pas, cette tranquillité me convient. Déjà 14 km sont passés, je tiens mes promesses côté allure. 

Un groupe de coureurs à l’horizon, un gars qui court avec une pancarte (le pauvre), cest le lapin et le peloton des 3h30. Je vais finir par les dépasser, ils finiront par me rattraper (ça fait un brom brom brom martial quand ils approchent, je pense au Concombre masqué dont le potager est, dans mon souvenir, traversé du même brom brom). Quand elle m'aura dépassée, j’essaierai de garder l’œil sur la troupe du lapin mais elle semble négliger les ravitaillements. Pour ma part, je prends un gobelet d’eau à chaque poste, pas question de risquer la déshydratation. Côté nutrition, une ou deux tablettes de type Isostar aux demi-heures et un cachet de Sporténine à chaque heure. J’ai l’impression de passer le marathon à boire et à manger. Arrivée dans le vieux port, plus joli, densité toujours idéale de spectateurs et de coureurs. C’est parfait. 

On arrive dans un nouveau paysage aux charmes stupéfiants, dans le béton désert qui s
étale au pied de la tour Radio Canada. Kilomètre 18, houps : 5:14, immédiatement compensé par un km 19 en 4:34. Je gère. Quelque part par là, je vois Plastic Patrik méconnaissable dans sa tenue normal de coureur normal, je l’interpelle et lui demande d’autographier mon maillot. Mais non, vous voulez rire, j’aurai d’autres occasion, j’aime mieux continuer mon petit bonhomme de chemin. Traversée du Village, remontée dans Hochelaga. Beaucoup denfants joyeux, je tape dans les mains qu’ils tendent, je réponds aux saluts des spectateurs, je les applaudis en retour quand ils applaudissent parce qu’ils participent eux aussi à cet immense effort collectif qui traverse Montréal. Il y a des crécelles, des vivats, de la musique, mais la kermesse est assez sobre pour me laisser dans moi. Courir me met dans un état un peu second dans lequel j’aime bien rester. Avancer dans un environnement qui s’absente de l’effort, ne pas se faire happer par le monde qu’on traverse, le traverser. Je suis là et je ne suis pas là, je suis consciente et détachée. Dans le Village, on bascule dans la deuxième moitié du marathon. Temps de passage : 1h44:59. Mais ça, je l’ignore car j’ai décidé de me concentrer sur mon temps au kilomètre. Pas de conjectures sur le chrono, un kilomètre à la fois. Tout va bien, tout va bien, tout va bien. Je cours, point. 

C’est vers le km 24 que ce marathon a commencé à vraiment m
énerver...

3 commentaires:

  1. Je trépigne d'impatience de lire la suite... et de savoir pourquoi le fameux dicton («...changer ta vie») ne s'est pas appliqué à toi???!!!!???

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  2. Hihi, «ces demi-portions», très drôle. Je me suis vraiment bien amusée en lisant ton texte I, II, III.

    Il y a tellement de contenu! Ta famille, tes modèles, ton retour à la course, tes objectifs, ta mère, ton émotion d'être à ses côtés... et ta quête d'un sens à tout ça qui t'amène à douter de son existence même. Je le répète, il y a tellement de contenu dans tes écrits que finalement, si c'était ça le sens à tout ça? S’entraîner pour arriver jusqu’au marathon qui lui nous décevra juste assez pour s’assurer qu’on recommence.

    Non mais quand on y pense, 42k à mettre un pied devant l'autre le plus vite de notre possible, c'est assez terne en soi.

    Ce sera donc l’entraînement le nirvana? Ou plutôt la carotte? Et le marathon, le bâton? On se serait fait duper?

    Combien de bons textes, de répliques parfaites, de théories avons-nous construits dans notre tête pendant nos longues sorties? Combien de fois avons-nous senti que nous pouvions plus encore? Combien de fois étions-nous convaincus de mériter la meilleure bouffe qui soit après un entraînement de qualité? Combien de fois pendant une séance d'intervalles nous sommes-nous trouvé puissants? C’est pas une vie changée ça?

    Oui comme tu dis, après un marathon, la vie continue, égale à elle-même. Mais la nôtre est un plus plus égale, non?

    Peut-être que la farfelue vérité du marathon lui-même est qu’il y a plus de chances d’être insatisfait. Soit on arrive trop épuisé et qu’on doute avoir assez donné en entraînement, soit on arrive en trop bonne forme et que se maudit de ne pas avoir assez donné. N’est-ce pas fou quand on y pense, une compétition où l’on a 90% de chances d’être insatisfait qu’on cherche toujours à refaire?

    Hihi, bon, peut-être que je divague ce matin, mais je le cherche moi aussi ce nirvana marathonien! Peut-être aussi qu'il y a autant de coureurs que de sens...

    Bon, tu n'as pas eu la tête dans les étoiles au marathon de Montréal. Peut-être aussi est-ce seulement lui le coupable? Celui du Lux sera certes une piste de plus vers la réponse… tu viendras nous dire hein?

    Mais c’est drôle parce qu’en te lisant, j’ai eu l’impression que tu l’avais trouvé, précisément avec cette phrase :

    «Je suis là et je ne suis pas là, je suis consciente et détachée.»

    Il y a des gens qui vont passer des semaines assis en Inde pour essayer d’arriver à un état qui se rapproche de cela.

    Nous on le fait en courant. Encore mieux non?

    ;)

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  3. Oh! Merci Pascale! Tu dis des choses extrêmement sensées. Sur la carotte et le bâton. Sur l'inévitable déception qui nous fait rempiler.

    Tu as mille fois raison, le plaisir est d'abord dans l'entraînement. On se donne des compétitions pour s'entraîner, on ne s'entraîne pas pour des compétitions.

    D'ailleurs, dorénavant je m'entraînerai pour des marathons sans plus jamais les courir. Hihihi.

    M'en vais réfléchir à tout ça demain, pendant les ternes 42,195 km. (Penser à prendre un carnet de notes.) À moins que je ne sois trop loin dans les airs, perdue dans un ashram virtuel. Je te raconte après l'atterrissage. :-)

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